Au cœur des transformations sociétales contemporaines, l’évolution des habitudes de consommation des ménages constitue un enjeu majeur pour comprendre les dynamiques économiques actuelles. Depuis les années 1950, les choix de dépenses des Français ont évolué de manière significative, reflétant non seulement une croissance économique, mais aussi des changements profonds dans les modes de vie et les priorités. Dans ce contexte, il est essentiel d’explorer comment ces mutations influencent la répartition du budget des ménages, notamment entre alimentation, logement, transports et loisirs, ainsi que l’impact des récents événements, tels que la pandémie de covid-19 et la montée des inégalités. Ce blog propose une analyse détaillée de ces tendances, afin d’éclairer les défis et opportunités auxquels font face les consommateurs d’aujourd’hui.
À partir des données de l’Insee, nous pouvons constater l’évolution significative de la consommation des ménages en France depuis les années 1950. Cette période a été marquée par un accroissement continu des dépenses, à l’exception de quelques années, notamment 1993, 2012 et 2020.
Entre 1959 et 2023, la consommation des Français a connu une augmentation annuelle, avec un volume de consommation par habitant qui est aujourd’hui quatre fois supérieur à celui de 1960. Cependant, cette croissance n’a pas été linéaire. Pendant les Trente Glorieuses, de l’après-guerre jusqu’au premier choc pétrolier en 1973, la consommation avait une augmentation annuelle moyenne de 4,1 %. Par la suite, cette dynamique a diminué, se chiffrant à environ 1,9 % par an, représentant néanmoins plus du double du volume de consommation par rapport à 1975. Le ralentissement s’est accentué durant la pandémie de covid-19, où la croissance n’a pas atteint 1 %.
Les habitudes de consommation ont également changé de manière significative quant à la répartition des dépenses des ménages. Les statistiques de l’Insee montrent une réduction de la part des dépenses allouées à l’alimentation et à l’habillement, tandis que les dépenses concernant le logement, les transports, la santé, la communication et les loisirs ont vu leur part augmenter. Ce changement souligne la tendance vers une consommation de services prenant le pas sur celle des biens matériels.
Les coefficients budgétaires en France
Le coefficient budgétaire représente la proportion du budget consacrée à différents postes de dépenses, comme l’alimentation et le logement. En 1960, 29 % du budget était alloué à l’alimentation, alors qu’en 2023, ce chiffre a chuté à 15,9 %. Cette baisse de la part alimentaire est attribuée à une augmentation plus faible du volume des dépenses alimentaires par rapport à d’autres catégories de biens et services. Avec l’enrichissement progressif des ménages, la part relative de l’alimentation dans le budget a naturellement diminué.
Consommation par poste de dépense
Concernant la part des dépenses de logement, celles-ci sont passées de 24 % en 1960 à 30 % en 1975, et se chiffrent à 31 % en 2023. Un facteur clé derrière cette légère augmentation est la croissance du nombre de ménages propriétaires, qui, bien que ne payant plus de loyers, ont d’autres charges telles que les remboursements d’emprunts.
En ce qui concerne les dépenses de transport, leur proportion dans les budgets des ménages a d’abord augmenté, avant de diminuer légèrement. L’essor de l’automobile jusqu’en 1990 a été un moteur de cette tendance, mais les nouvelles générations deviennent moins enclines à posséder un véhicule, préférant souvent utiliser les transports publics.
Pour les dépenses d’habillement, la part du budget familial a chuté de 8 % en 1960 à 3 % en 2023, reflet d’une croissance moins rapide en volume par rapport à la dépenses totales de consommation. Une évolution notable est le recul de la consommation de vêtements neufs, favorisant des options de seconde main ou la fast fashion, qui demeurent plus compétitives en termes de prix.
Les dépenses de santé, quant à elles, ont quadruplé en soixante ans. Bien que la santé représente un secteur significatif de l’économie, la part des dépenses directement payées par les ménages reste relativement faible, car la majorité des frais est couverte par la sécurité sociale et les mutuelles.
Enfin, la part consacrée aux dépenses de communication, de loisirs et de culture a plus que triplé, passant de 3 % en 1960 à 10,5 % en 2023, avec une forte augmentation dans la consommation de services de communication, due à la montée d’Internet et des télécommunications.
Les habitudes de consommation des ménages sont influencées par un ensemble de facteurs économiques, technologiques et sociaux qui interagissent de manière dynamique. Analysons chacun de ces aspects en détail.
Facteurs économiques
Les conditions économiques ont un impact direct sur la capacité d’achat des ménages. Par exemple, une croissance économique soutenue mène généralement à une augmentation des revenus, ce qui permet aux consommateurs de diversifier leurs dépenses et d’augmenter leur consommation de services. À l’inverse, les périodes de récession ou d’inflation peuvent contraindre les ménages à réduire leurs dépenses, particulièrement pour les biens non essentiels.
Un bon exemple de cette dynamique est le changement observé dans la part des dépenses alimentaires. Alors que cette catégorie représentait 29 % du budget en 1960, elle est tombée à 15,9 % en 2023, en partie à cause des augmentations de revenu qui ont permis aux ménages de consacrer davantage à d’autres postes comme les loisirs et les transports.
Avancées technologiques
La technologie joue un rôle crucial dans la transformation des comportements de consommation. L’avènement d’Internet et des smartphones a transformé les méthodes d’achat des consommateurs. Par exemple, les plateformes de commerce en ligne, telles qu’Amazon, ont modifié la manière dont les ménages accèdent aux produits, offrant une gamme sans précédent à des prix compétitifs.
De plus, les technologies de communication comme la téléphonie mobile et les réseaux sociaux privilégient l’émergence de nouveaux modèles d’affaires, tels que les services d’abonnement ou le crowdfunding, rendant les produits et services plus accessibles et personnalisés. Les jeunes générations, par exemple, ont tendance à privilégier des achats éthiques et durable grâce à une meilleure communication sur ces valeurs via les réseaux sociaux.
Tendances sociales
Les tendances sociales et culturelles influencent également les habitudes de consommation. Par exemple, une prise de conscience croissante des enjeux environnementaux a conduit à un intérêt accru pour les produits écologiques et de seconde main. Les études montrent que de plus en plus de consommateurs, en particulier parmi les jeunes, choisissent de s’orienter vers des marques qui adoptent des pratiques durables.
Un autre aspect des tendances sociales est la croissance du freelancing et du télétravail, qui modifie la façon dont les ménages dépensent leur budget en matière de logement et de mobilité. Les travailleurs à distance peuvent choisir de vivre dans des zones moins centrales, changeant ainsi la dynamique de la demande pour les espaces de bureaux et de logements.
Exemples concrets
Un exemple concret des effets des conditions économiques est la hausse des prix de l’énergie, qui a obligé de nombreux ménages à réajuster leurs budgets en faveur de dépenses liées à l’énergie, comme le chauffage, ce qui a impacté d’autres catégories comme les loisirs.
En ce qui concerne la technologie, la montée en puissance des applications de livraison de repas illustre la tendance vers des solutions pratiques et rapides adaptées au mode de vie moderne, reflétant des changements dans la manière dont les ménages envisagent l’alimentation.
Enfin, la popularité croissante des vêtements de seconde main et des échanges de vêtements entre particuliers est un exemple des tendances sociales qui redéfinissent l’habillement, en lien avec la durabilité et l’anti-consumérisme.
La pandémie de COVID-19 a engendré des modifications significatives dans les habitudes de consommation des ménages. L’une des évolutions notables réside dans une accélération de la transition numérique, les consommateurs se tournant vers les achats en ligne pour éviter les contacts physiques. Cette tendance a suscité une croissance fulgurante des ventes en ligne, notamment dans des secteurs comme l’alimentaire et l’habillement.
Par ailleurs, la crise sanitaire a mis en lumière l’importance des services essentiels, entraînant une durabilité potentielle dans les dépenses liées à la santé, au bien-être et à la sécurité. De nombreux ménages ont modifié leur budget en faveur de ces secteurs, ce qui pourrait perdurer à long terme.
Un autre aspect est la réduction des dépenses discrétionnaires. De nombreux ménages ont devenu plus prudents dans leurs dépenses, privilégiant l’épargne et la résilience financière face aux incertitudes. Ainsi, une tendance à une consommation plus responsable pourrait s’installer, avec un accent sur des choix durables et éthiques.
En ce qui concerne le transport, la pandémie a également entraîné un accroissement de la demande pour des alternatives de transport, telles que le vélo et les transports en commun, signifiant une diminution potentielle dans l’utilisation des véhicules personnels.
Enfin, les loisirs à domicile ont gagné en popularité, plusieurs consommateurs investissant dans des équipements pour rendre leur espace de vie plus agréable. Cela pourrait devenir une priorité continue pour les ménages, préfigurant une modification durable de leurs comportements de consommation.
À partir des données de l’Insee, nous pouvons retracer l’évolution de la consommation des Français depuis les années 1950. On constate notamment une hausse de la part des services dans la consommation totale.
Entre 1959 et 2023, la consommation des Français a augmenté chaque année, sauf en 1993, 2012 et en 2020. De ce fait, le volume annuel de consommation par personne est maintenant quatre fois plus élevé qu’en 1960.
L’augmentation n’a pas été continuellement la même. Pendant les Trente Glorieuses, de l’après-guerre au premier choc pétrolier de 1973, l’augmentation annuelle moyenne de la consommation a été de 4,1 % au niveau individuel. Depuis, la croissance a été beaucoup moins dynamique à environ 1,9 % par an, ce qui représente néanmoins une multiplication par un peu plus de deux du volume de consommation depuis 1975. La croissance a encore ralenti avec le covid-19, n’atteignant pas les 1 %.
La progression globale recouvre de profonds changements dans la répartition du budget des ménages entre les différents postes de dépenses. Les statistiques de l’Insee montrent que les parts affectées à l’alimentation et à l’habillement se sont réduites, et que celles du logement, des transports, de la santé, de la communication et des loisirs ont augmenté.
À travers cette mutation, la consommation de services semble avoir pris le pas sur les dépenses de biens.
Les coefficients budgétaires en France
Un coefficient budgétaire est le rapport de la dépense consacrée à un poste ou à une catégorie de biens ou de services (par exemple l’alimentation, le logement…) à la dépense totale.
*solde territorial = dépenses des résidents à l’étranger – dépenses des non-résidents en France.
L’alimentation représentait 29 % du total du budget de consommation des ménages en 1960 et seulement 15,9 % en 2023.
L’évolution du coefficient budgétaire d’un poste dépend de l’évolution du volume de la consommation de ce poste ou de cette catégorie et de celle de son prix relatif.
La diminution de la part de l’alimentation dans le budget total de la consommation provient du fait que la consommation d’alimentation a moins augmenté en volume que les autres catégories de biens et de services.
Cela provient du fait que les besoins alimentaires des individus ne sont pas extensibles indéfiniment, même si la qualité de l’alimentation peut augmenter. Il est donc logique que, plus un pays s’enrichit, plus la part relative de l’alimentation dans la consommation totale diminue.
Consommation par poste de dépense : part de l’alimentation
La part en valeur des dépenses d’alimentation (y compris le tabac), est passée de 29 % du budget de consommation en 1960 à 15,9 % en 2023. Par habitant, le montant consacré à la dépense alimentaire a certes progressé, de 1 322 euros en 1960 à 3 456 euros en 2023 (en euros constants de 2014), mais cette hausse est plus faible que pour les autres postes de consommation.
La très nette hausse des niveaux de vie a permis de desserrer la contrainte des dépenses de première nécessité.
Les effets des inégalités sociales continuent de se faire sentir de différentes manières.
Le poids de l’alimentation est d’autant plus élevé que le niveau de vie des ménages est faible. Les 10 % des ménages qui ont le niveau de vie le plus faible consacrent une part bien plus importante à l’alimentation à domicile que pour les 10 % qui ont le niveau de vie le plus élevé. Depuis le début du siècle, si les écarts entre riches et pauvres augmentent à nouveau et l’alimentation est particulièrement touchée. Selon une étude du CREDOC en 2022, 16 % de personnes déclaraient ne pas manger à leur faim. Une insécurité alimentaire en hausse depuis la période inflationniste post-covid-19.
Part des dépenses de logement
La part budgétaire consacrée au logement (y compris l’énergie et l’ameublement) a progressé sensiblement entre 1960 (24 %) et 1975 (30 %). Elle a, depuis, continué à très légèrement augmenter (31 % en 2023), mais cette plus faible progression traduit en réalité la croissance du nombre de ménages propriétaires : leur part dans le nombre total de ménages a augmenté tout particulièrement entre 1973 (45 %) et 1988 (54 %).
En effet, les nouveaux propriétaires, ne payant plus de loyers, ne font plus face aux mêmes dépenses de consommation de services de logement, mais à des dépenses d’autres natures (dépenses d’investissement-logement, remboursement d’emprunts).
Part des dépenses de transport
Le poids du poste des dépenses de transport dans le budget des ménages a progressé fortement entre 1960 (11 %) et 1990 (17 %), puis a baissé à 12,9 % en 2023.
L’essor de l’automobile est le principal facteur de la hausse initiale de la part des transports.
Le taux d’équipement des ménages en automobiles était de 30 % en 1960. En 2018, plus de 84 % des ménages possèdent au moins une voiture, et un tiers en possède deux ou plus.
Il en a résulté une part croissante des dépenses d’utilisation des véhicules personnels dans le budget des ménages à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Cependant, la tendance est depuis 20 ans plutôt à une baisse de la consommation allouée au transport. Cela s’explique par le développement des transports en commun, les nouvelles générations qui sont moins enclines à posséder une voiture que leurs ainés. Avec 80 % de la population vivant en ville, tout cela prend sens.
La hausse du poids du transport dans le budget des ménages a été liée à la hausse des distances parcourues plus qu’à la hausse du prix du carburant relativement aux revenus. Par exemple, en 1973, une heure de travail au SMIC permettait d’acheter 3 litres d’essence. En 2018, la même heure de travail permettait d’acheter 6 litres d’essence.
Les volumes relatifs de consommation en transports collectifs sont en augmentation. Le transport aérien connait un dynamisme très important, suivi par le transport ferroviaire qui est de nouveau très plébiscité, en particulier par les plus jeunes.
Part des dépenses d’habillement
La part des dépenses d’habillement dans le budget des familles a baissé, de 8 % en 1960 à 3 % en 2023.
Ce tassement provient d’une moindre croissance en volume par rapport à celle du volume des dépenses totales de consommation.
Ce recul de la part budgétaire semble illustrer l’effet de la hausse du niveau de vie moyen sur la part des dépenses nécessaires : au-delà d’un certain seuil de revenu, le budget en habillement des ménages ne progresse pas dans les mêmes proportions que leur revenu. Il faut cependant nuancer ce jugement, la dépense d’habillement relevant moins de la nécessité, mais plus de la mode.
Autre point important, depuis plusieurs années déjà, la consommation de vêtements neufs est en net recul. La faillite de plusieurs marques de prêt-à-porter le prouve (Kookaï, Naf Naf, André, Kaporal, etc.). Les consommateurs privilégient de plus en plus la seconde main bien moins chère, ou la fast fashion qui défie toute concurrence en termes de prix, au prix des conditions de travail pour les ouvriers et des impacts écologiques.
Part des dépenses de santé
Les dépenses de santé prises en compte ici correspondent à la part directement supportée par les ménages.
Alors qu’en 2023, la santé représentait près de 9 à 10 % du PIB français, les dépenses de santé prises en charge directement par les ménages ne représentent que 3,8 % de leur budget. En effet, la plupart des dépenses de santé ne sont pas payées directement par les patients, mais sont prises en charge par la Sécurité sociale et les mutuelles.
Le poids de ces dépenses dans le budget des ménages a cependant quadruplé en 60 ans du fait de la croissance très rapide des dépenses globales de santé (liées entre autres au vieillissement de la population) et de la lente régression de la part des dépenses de santé prises en charge par la collectivité depuis le début du siècle.
Communication, loisirs et culture
Le poste regroupant les dépenses de communication, de loisirs et de culture est passé de 3 % du budget de consommation en 1960 à 10,5 % en 2023.
Dans cet ensemble, la consommation de communication est celle qui a augmenté le plus vite, notamment depuis le milieu de la décennie 1990 avec la téléphonie mobile et Internet. Ces produits et ces services sont rapidement devenus de plus en plus accessibles, et même indispensables.
Avec le logement, les services de communication constituent l’un des principaux facteurs du développement des dépenses « pré-engagées ».
Les dépenses contraintes
Les dépenses « pré-engagées », ou dépenses contraintes, sont les dépenses difficilement négociables à court terme, qui dépendent d’un contrat signé. Elles comprennent les dépenses de logement, les services de télécommunications, les services de télévision, les assurances et les services financiers (y compris les offres labellisées « sans engagement » par leurs fournisseurs sont comptabilisées comme des dépenses pré-engagées en comptabilité nationale).